Hommage au vieux maître

Oscar Niemeyer, dernier géant de l’architecture du XXème siècle encore vivant, a fêté ses cent ans le 15 décembre dernier. Au-delà de cette longévité déjà exceptionnelle, c’est plus encore son activité créatrice toujours intacte qui étonne.  Travaillant tous les jours dans son bureau de Copacabana à Rio, Niemeyer planche actuellement -entre autres- sur un centre culturel en Espagne et un complexe aquatique en  Allemagne. Il vient par ailleurs de livrer l’auditorium du parc Ibirapuera à Sao Paulo.
Sa carrière, son œuvre, tout autant que sa constance inspirent respect et admiration.
Son architecture, après l’expérience réussie du siège du ministère de l’éducation à Rio aux côtés de Lucio Costa et du Corbusier, commence réellement au début des années 40 à Pampulha, avec la commande par Jucelinho Kubitschek, futur président du Brésil, d’un ensemble de loisirs et d’une église. L’on y lit déjà la liberté plastique, la clarté des compostions et cette capacité d’interpréter différemment les canons encore figés de la modernité.
Ensuite, choc dans l’histoire de l’architecture du XXème siècle, Brasilia.
Sur l’urbanisme, œuvre de Lucio Costa,  beaucoup a été dit mais il semble trop facile de ne retenir que l’étrange échelle de la ville et l’absence de normalité rassurante. Une ville crée ex nihilo en quatre ans ne peut et ne doit ressembler à une ville séculaire, faite de multiples strates…
L’architecture, elle, est éblouissante de beauté, d’équilibre et d’harmonie. Niemeyer use d’un langage étoffé dont les éléments de vocabulaire entrent en résonance les uns avec les autres : vastes esplanades, colonnades, coupoles, coques, rampes, sculptures… L’ingénieur Joaquim Cardoso calcule les prouesses chères à l’architecte et fait évoluer la technique du béton armé.
Avec l’avènement de la dictature au Brésil à la fin des années soixante, vient la période de l’exil. Niemeyer projette de nombreux projets de par le monde, notamment en France, en Italie ou encore en Algérie.
A son retour au Brésil, il conçoit de nouveaux projets pour son pays avec notamment le remarquable musée d’art contemporain de Niteroi.
Si son architecture se caractérise de prime abord par son invention formelle et son effet persistant de choc visuel, elle révèle aussi une lecture plus nuancée quant à sa composition avec le paysage et sa  capacité à capter les espoirs d’une époque dans une expression nouvelle. Son œuvre matérialise à elle seule les aspirations et les évolutions du Brésil, en en construisant les représentations spatiales dans l’imaginaire commun.
La monumentalité, récurrente dans son travail, découle de choix conceptuels affirmés et inchangés plutôt que d’une volonté surlignée soumise aux désirs du commanditaire.
La capacité à expurger un programme de tout superflu et de le traduire dans un tout, dans une forme pleine ou structurée, à composer autant avec le vide qu’avec la matière, à disperser avec brio des compositions strictes et originales à la fois sur de vastes espaces libres, l’immaculé des larges surfaces blanches, sont autant de traits caractéristiques de son travail. Il s’en dégage une impression de grandeur non pesante, de gravité et d’instant figé dans le futur…
Un autre apport déterminant de Niemeyer est d’avoir ouvert la voie à toute une génération d’architectes du sud en s’affranchissant des dogmes du rationalisme et en insufflant fraîcheur et inventivité à la modernité.
Il fut ainsi l’un des tous premiers architectes non européen et non américain à être reconnu et publié, ce malgré l’ostracisme dont firent preuve à son égard certains critiques.
Artiste engagé, Niemeyer affirme souvent que l’architecture n’est pas le plus important en soi. Si ses convictions politiques reflètent une utopie quelque peu surannée, son engagement pour une société plus juste et pour la dignité de l’homme est tout à fait réel et honorable.
Oscar Niemeyer, du haut de son siècle, nous envoie un message dont la portée résonne clair dans le dédale de notre époque troublée.
L’architecture ne peut se contenter du quotidien et d’une tranquille médiocrité. Pour autant, l’audace ne réside pas dans la démesure et la surenchère, mais plus encore dans une recherche de beauté, de force et de poésie. Une architecture qui élève l’Homme et magnifie ses valeurs les plus nobles. De quoi méditer…

Driss Kettani